pensée

     
 
pensée
 
Certaines pensées, fortes, lentes, suintent, ruissellent des souvenirs qu’on n’a pas eus, des moments qu’on n’a pas vécus, elles grouillent, bouillent, fouillent le corps, l’esprit, les yeux, le cœur, le cœur des yeux, des caillots de pensée, des bulles de pensée, des tulles, des bures, elles gigotent, ravigotent, finalement consolent, réconfortent, comme si on se caressait, comme si se masturbait l’âme, je ne parle pas des pensées salaces, de celles qui prennent le ventre au ventre, même si ces pensées remuent aussi les tripes, piquent les yeux, rougissent l’intérieur des paupières, un filet d’angoisse peut passer dans le cou, un frisson peut resserrer les omoplates, elles n’ont rien à voir, rien à dire avec les partouzes virtuelles, les interloperies du fond des bois, les velours couverts de chairs, les chairs recouvertes de sueurs, les regrets, les remords, les fantasmes insensuels, inespérables, désespérés, elles sont bien plus difficiles à attraper, elles fusent, se refusent, elles jouent du sucre d’orge et en même temps du bâton, pire, mieux, elles mettent des fourmis dans les mains, on se tord les doigts, on lance le traitement de texte, on se rue, on plonge comme si on sortait de l’incendie, on s’y jette, certaines douches d’eau fraîche rassasient moins, on s’enfonce dans le texte comme on replie un drap sur soi, on se met en boule, on se recroquille, je dis bien recroquille, on vrille, un pied au creux du genou, une main dans l’aine, au plus près de la chaleur de soi, la pensée sort, les lettres jaillissent, l’écriture avance, on se réchauffe d’écrire, on fixe l’idée, le papillon s’agite, où est l’épingle, il faut trouver le mot juste, transformer la flammèche en flamme, la pensée s’abracabraise, elle sème, la phrase germe, la phrase existe, la pensée existe, tout ça pour ça, pour ce moment là, cette douceur-là, la voir s’agiter, elle fait du bien, elle console, on ré-existe, on revit, la renaissance de soi, la pensée panse, elle caresse la mémoire, l’irritation s’en va, le rouge rosit, la pensée nous aime, on existe, on la ressent, elle calme la gorge, un sirop de pensée qui humecte les lèvres, qui dilate les narines, l’odeur s’engouffre, un frémissement, un parfum, un tourbillon, ces molécules s’appellent le réel, la réalité de la pensée, elle se laisse toucher, elle accepte la paume,les yeux, elle ronronne de plaisir, un gémissement fort comme une migraine, doux comme une caresse, passe et tourne et s’enfonce, la pensée accouche, non, je me trompe, c’est l’inverse, cette pensée-là n’y est pour rien, elle n’est pas créatrice, elle est le résultat, le symptôme, la sueur de l’effort, le sang qui gratouille sous la cicatrice, le plastique qui brûle, elle n’a aucun mérite, elle est l’effet, pleutre, veule, lâche, elle obéit, même si, tant bien que mal, elle souffre, ces pensées font mal, il faut bien, au moins suffisamment, c’est une question de naissance, il faut donner corps, car le corps est là, bien sûr, quoi qu’il arrive, il aura toujours sa place, je n’imagine pas qu’une pensée lui échappe, il l’avalera avant qu’elle ne le quitte.

MD-2010

 
   


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